04/08/2008

Edgar Poe aurait aimé les WSOP..

En guise de préface à son recueil de nouvelles Histoires Extraordinaires, que j'ai lu récemment, Edgar Poe (1809-1849) a une réflexion intéressante. Elle concerne la capacité d'analyse du cerveau humain, notamment utilisée dans le domaine des jeux (dames, échecs, whist). J'y ai vu de nombreuses analogies avec le poker, et il se trouve que le comité de rédaction de mon blog a validé la publication de cet extrait ici. Si vous avez le courage de lire ce copieux extrait, vous apprécierez :

"Les facultés de l'esprit qu'on définit par le terme analytiques sont en elles-mêmes fort peu susceptibles d'analyse. Nous ne les apprécions que par leurs résultats. Ce que nous en savons, entre autres choses, c'est qu'elles sont pour celui qui les possède à un degré extraordinaire une source de jouissances des plus vives. De même que l'homme fort se réjouit dans son aptitude physique, se complait dans les exercices qui provoquent les muscles à l'action, de même l'analyste prend sa gloire dans cette activité spirituelle dont la fonction est de débrouiller. Il tire du plaisir même des plus triviales occasions qui mettent ses talents en jeu. Il raffole des énigmes, des rébus, des hiéroglyphes; il déploie dans chacune des solutions une puissance de perspicacité qui, dans l'opinion vulgaire, prend un caractère surnaturel. Les résultats, habilement déduits par l'âme même et l'essence de sa méthode, ont réellement l'air d'une intuition.

Cette faculté de résolution tire peut-être une grande force de l'étude des mathématiques, et particulièrement de la très haute branche de cette science, qui, fort improprement et simplement en raison de ses opérations rétrogrades, a été nommée analyse, comme si elle était l'analyse par excellence. Car, en somme, tout calcul n'est pas en soi une analyse. Un joueur d'échecs, par exemple fait fort bien l'un sans l'autre. Il suit de là que le jeu d'échecs, dans ses effets sur la nature spirituelle, est fort mal apprécié.

Je prends donc cette occasion de proclamer que la haute puissance de réflexion est bien plus activement et plus profitablement exploitée par le modeste jeu de dames que par toute la laborieuse futilité des échecs. Dans ce dernier jeu, où les pièces sont dotées de mouvements divers et bizarres, et représentent des valeurs diverses et variées, la complexité est prise -erreur fort commune- pour de la profondeur. L'attention y est puissamment mise en jeu. Si elle se relâche d'un instant, on commet une erreur, d'où il résulte une perte ou une défaite. Comme les mouvements possibles sont non seulement variés, mais inégaux en puissance, les chances de pareilles erreurs sont très multipliées; et, dans 9 cas sur 10, c'est le joueur le plus attentif qui gagne et non pas le plus habile. Dans les dames, au contraire, où le mouvement est simple dans son espèce et ne subit que peu de variations, les probabilités d'inadvertance sont beaucoup moindres, et attention n'étant pas absolument entièrement accaparée, tous les avantages remportés par chacun des joueurs ne peuvent être remportés que par une perspicacité supérieure.

Pour laisser là ces abstractions, supposons un jeu de dames ou la totalité des pièces soit réduite à 4 dames, et où naturellement il n'y ait pas lieu de s'attendre à des étourderies. Il est évident qu'ici la victoire ne peut être décidée, -les deux parties étant absolument égales, - que par une tactique habile, résultat de quelque puissant effort de l'intellect. Privé des ressources ordinaires, l'analyste entre dans l'esprit de son adversaire, s'identifie à lui, et souvent découvre d'un seul coup d'œil l'unique moyen -un moyen quelque fois absurdement simple- de l'attirer dans une faute ou de le précipiter dans un faux calcul.

On a longtemps cité le whist pur son action sur la faculté de calcul; et on a connu des hommes d'une haute intelligence qui semblaient y prendre un plaisir incompréhensible et dédaigner les échecs comme un jeu frivole. En effet, il n'y a aucun jeu analogue qui fasse plus travailler la faculté d'analyse. Le meilleur joueur d'échecs de la chrétienté ne peut guère être autre chose que le meilleur joueur d'échecs, mais la force du whist implique la puissance de réussir dans toutes les spéculations bien autrement importantes où l'esprit lutte avec l'esprit.

Quand je dis la force, j'entends cette perfection dans le jeu qui comprend l'intelligence de tous les cas dont on peut légitimement faire son profit. Ils sont non seulement divers, mais complexes, et se dérobent souvent dans des profondeurs de la pensée inaccessibles à un intelligence ordinaire.

Observer attentivement, c'est se rappeler distinctement; et, à ce point de vue, le joueur d'échecs capable d'une attention très intense jouera fort bien au whist, puisque que les règles de Hoyle, basées elles-mêmes sur le simple mécanisme du jeu, sont facilement et généralement intelligibles.

Aussi, avoir une mémoire fidèle et procéder d'après les livres sont des points qui constituent pour le vulgaire le summum du bien jouer. Mais c'est dans les cas situés au delà de la règle que le talent de l'analyste se manifeste; il fait en silence une foule d'observations et de déductions. Ses partenaires en font peut-être autant, et la différence d'étendue dans les renseignements ainsi acquis ne gît pas tant dans la validité de la déduction que dans la qualité de l'observation. L'important, le principal est de savoir ce qu'il faut observer. Notre joueur ne se confine pas dans son jeu, et, bien que ce jeu soit l'objet actuel de son attention, il ne rejette pas pour cela les déductions qui naissent d'objets étrangers au jeu. Il examine la physionomie de son partenaire, il la compare soigneusement avec celle de chacun de ses adversaires. Il considère la manière dont chaque partenaire distribue ses cartes; il compte souvent, grâce aux regards que laisse échapper les joueurs satisfaits, les atouts et les honneurs, un à un. Il note chaque mouvement de la physionomie, à mesure que le jeu marche, et recueille un capital de pensée dans les expressions variées de certitude, de surprise, de triomphe, ou de mauvaise humeur. A la manière de ramasser une levée, il devine si la même personne en peut faire un autre dans la suite. Il reconnait ce qui est joué par la feinte à l'air dont c'est jeté sur la table. Une parole accidentelle, involontaire, une carte qui tombe, ou qu'on retourne par hasard, qu'on ramasse avec anxiété ou avec insouciance, le compte des levées et l'ordre dans lequel elles sont rangées; l'embarras, l'hésitation, la vivacité, la trépidation, -tout est pour lui symptôme, diagnostic, tout rend compte à cette perception, -intuitive en apparence,- du véritable état des choses. Quand les 2 ou 3 premiers tours ont été faits, il possède à font le jeu qui est dans chaque main, et peut dès alors jouer ses cartes en parfaite connaissance de cause, comme si tous les autres joueurs avaient retourné les leurs.

La faculté d'analyse ne doit pas être confondue avec la simple ingéniosité; car, pendant que l'analyste est nécessairement ingénieux, il arrive souvent qu'un homme ingénieux est absolument incapable d'analyse. La faculté de combinaison, ou constructivité, par laquelle se manifeste généralement cette ingéniosité, et à laquelle les phrénologues -ils ont tord, selon moi,- assignent un organe à part, - en supposant qu'elle soit une faculté primordiale, a paru dans des êtres dont l'intelligence était limitrophe de l'idiotie, assez souvent pour attirer l'attention générale des écrivains psychologistes. Entre l'ingéniosité et l'aptitude analytique, il y a une différence beaucoup plus grande qu'entre l'imaginative et l'imagination, mais d'un caractère rigoureusement analogue. En somme, on verra que l'homme ingénieux est toujours plein d'imaginative, et que l'homme vraiment imaginatif n'est jamais autre chose qu'un analyste.
..."


Mon petit commentaire :
Je suis d'accord avec Edgar !
Les échecs ont un coté très technique, et demandent énormément de travail pour maitriser les classiques : ouvertures, profiter d'avantages de positions ou pièces, savoir gérer les finales, etc ... (au passage : je suis tombé sur une très bonne partie d'échecs commentée ici )
Au whist -comme au poker- c'est beaucoup plus simple en apparence, et lorsque l'on progresse, ce sont nos observations qui s'affinent plus que notre technique.

Et pour en revenir au bouquin en général, mise à part la nouvelle du Scarabée d'Or plutôt originale, les intrigues et la résolution de celles-ci sont accompagnées de longues analyses, ce qui rend ces 300 pages peu digestes...

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Lire Edgar Poe et n'en retenir que la préface c'est comme même dommage, surtout quand c'est un classique !

aldanjah a dit…

Certes, mais ce n'est pas parce que c'est un classique qu'on doit forcément adhérer à 100%.
Moi j'adhère à la préface, c'est déjà ça :)

clémence a dit…

Je dirais même plus que quand on sous-entend avoir lu l'ouvrage d'Edgar Poe en entier, on écrit pas "comme même" mais "quand même", étant donné qu'on est un être sensible à la langue française :)

aldanjah a dit…

Tu as raison Clémence.. Sans doute un passant qui veut nous faire croire qu'il connait Edgar ..
Beaucoup de bluffeurs sur ce blog on dirait :)

Anonyme a dit…

langue française mon cul, Edgar était Ricain ! On l'appelle Ed d'ailleurs ici.